RÉCOLTER ET TRANSFORMER DES DISCOURS
EN CONTES PAYSAGERS
Aller à la rencontre des habitants
« Par ici, il faut vraiment que tu visites la Vergne ! »
« C’est très beau ! C’est une Venise verte. »
« Oui ! oui ! c’est un jardin secret ! »
Décembre 2017
Haute Gironde
Le paysagiste-chercheur se construit progressivement un « objet à saisir/agir » en multipliant les sources et les échelles pour comprendre les situations paysagères et en évaluer les opportunités de mise au travail.
Illustration de différentes situations caractéristiques de l’enquête paysagère
entre entretiens, recherche documentaire et parcours commenté
Les relations à l’eau = une question paysagère importante sur le territoire
Comprendre un bassin versant à l’eau patiente, un estuaire maritime transformé
Interroger les documents institutionnels
le marais de Braud-et-Saint-Louis
Le passage
Marais de la Vergne
« Oui, je l'ai toujours fait aller chercher le roseau dans le marais de la Vergne. Oui je l'ai toujours fait et je le fais parce que c'est à ma porte et... j'y tiens. Et puis c'est la meilleure litière que l'on puisse avoir ».
Extrait parcours commenté avec Lionel E., éleveur dans le marais de la Vergne, mai 2019
« Les canaux ils font peut-être maintenant 10 m de large ! Cela a été dévoré par les ragondins qui font des trous, les écrevisses maintenant ! » « Tu comprends avant on passait avec la trioule pour pêcher. Quand le filet était plein de sédiments on le déposait sur le bord. Cela entretenait ! » Extraits parcours commenté, août 2018
« Ce ne sont que des petites parcelles. Certaines font à peine quelques mètres carrés. C'est très, très parcellé ! »
« J'ai reçu un courrier du conseil départemental qui me proposait d'acheter. C'est 1 500 €/ha normalement. Mais cela n'a pas de valeur pour moi. Le potentiel affectif est trop fort... »
Extraits conversation de terrain, février 2019
Différentes situations paysagères dans le marais de la Vergne lors d’un arpentage de terrain
Des cartes sont produites au fur et à mesure de l’avancée de l’enquête.Elles formalisent à échelle macro l’avancée des connaissances.
Elles permettent d’interroger les documents institutionnels relatifs au paysage-objet sur le secteur.
Le marais de la Vergne est une interface entre les eaux douces et les eaux saumâtre.
Cela confère une importance à son exutoire le lieu-dit : Les trois écluses du Passage.
Source : Pénélope Thoumine. Etudiante paysagiste, 2021
3 parties distinctes :
-les marais asséchés (palus) sur vase marine de Saint-Louis et de Saint-Simon
-le marais mouillé dit de la Vergne
Les échanges se concentrent sur les attachements
Prendre en considération
Août 2018
parcours commenté avec
deux personnes impliquées
« La Vergne elle était à l'abandon maintenant elle est à l'agonie »
Parcours commenté, août 2018
« Mais là-bas avant la patte d'oie, y a un champ il est magnifique. J'en avais les larmes aux yeux. De voir le champ comme cela on aurait dit La Vergne d'autrefois. C'est incroyable. C'était magnifique ! »
Invitation
à un festival
informel
C’est un événement organisé par un petit groupe d’habitants
« amoureux de la Vergne ».
moment à haute valeur socio-écologique:
partage et mise en valeur (...) des trames d'existences tissées entre humains et non-humains au sein du milieu.
La multiplication des outils et objets permettent d’échanger et d’agréger différents registres de savoirs-connaissances. Ces objets s’échangent selon les préférences de chaque membre du groupe et constitue soit des « objets intermédiaires » soit des « objets-frontières » (Vinck, 2009) Chaque objet produit différents résultats, différents registres de paroles (source : auteur 2019/2020)
S’approcher de l’expérience paysagère ordinaire
Décembre 2019
Organisation d'un atelier de cartographie paysagère
La conversation est immédiatement très intense. Ce qui est tout de suite remarquable c’est le plaisir partagé à nommer précisément les lieux.
Ce n’est pas un simple travail d’inventaire de noms vernaculaires, c'est un travail collectif de dénomination où « loin d’opposer le langage comme outil purement conceptuel à un corps qui tiendrait le monopole de l’affectif, les paroles sont considérées […] comme des moyens de véhiculer les affects au-delà de leur capacité à parler des affects » (Plancke & Simoni, 2018)
« Avant l'assèchement c'était des communaux comme le marais. Et cela se prolongeait dans les terres par la Comteau. C'était domaine royal. C'était sauvage ! […] J’ai lu que c’était très giboyeux au Moyen-âge. […] Il est écrit dans les inventaires au moment du duc de Saint-Simon qu’il y avait beaucoup de loup »
« Les noms des lieux sont superbes. Le bois des abîmes : un lieu de pendaison pour les seigneurs de la barrière et de sables mouvants. C’est la légende ! les portes romaines, le pont de la faveur, le terrier des fées […] Le port du rat, le port de brigand. Le Fond Dardet : c'est probablement l'eau qui sort, elle darde en Gabaye, comme un dard. Tu vois ? »
« Avec mon père on partait depuis ici : depuis la barrière. On coupait le premier canal : le canal des Demiers. Quelque part par là car il y a toujours beaucoup de courant on coupait par ici. (– Canal des sables, oui…) Et puis on allait par ici vers les 45 journaux, là tout ce secteur et on pouvait revenir sans aucun problème. »
« Les fleurs que tu vas trouver souvent c'est en périphérie. Les nivéoles t'en as plein, là ! (Il montre sur la carte). Là aussi le long de canal de Marquette c'est tout blanc de nivéoles. Par moment on dirait des massifs énormes, (poussant le ton) énormes ! C’est trop beau ! […] J’y vais tous les ans pour les voir ! »
Collecter des savoirs par la parole
Je travaille alors avec le conteur David S. à identifier des personnes clés avec qui échanger et coconstruire cette complexité socio-écologique qui échappe aux approches classiques. Si nos réseaux divergent, ils sont complémentaires. Finalement, il va seul à la rencontre de quinze personnes, aux trajectoires biographiques variées, identifiées par réseaux comme particulièrement attachées au territoire et comme représentant sa diversité d’usages. Les échanges, qui sont enregistrés, s’apparentent à des entretiens semi-directifs d’une durée qui varie entre deux et quatre heures.
Les questions liminaires sont volontairement simples et larges :
« À quoi tenez-vous ici ? C’est quoi l’eau pour vous dans votre expérience quotidienne ? Avez-vous des histoires que vous voudriez partager ?
Extraits de l'entretien avec Jean-Louis D.
Deuxième semestre 2020
Crise du Covid
Mettre en spectacle
Juillet 2020
“Une des fonctions essentielles du conte est d’imposer une trêve au combat des hommes.” (Proverbe oriental)
Novembre 2020
David, enthousiasmé par les propos recueillis et le projet dans son ensemble, propose de « mettre en spectacle » les contes
Des allers-retours et de nombreux échanges aboutissent à proposer trois contes, autant de pistes narratives à explorer qui vont chercher à s’entremêler
Différentes situations d’échanges avec les scolaires qui permettent une mise en récit partagée où se croisent expériences vécues et savoirs « savants »
Les dispositifs de fabrication de savoirs paysagers dans le continuum du projet sont toujours pensés comme apprenants.
Ils permettent une rencontre dans un double mouvement de prétexte et de construction de savoirs partagés. (Échanges avec les élus de la CCE, 11 juin 2021).
Source : Grégory Epaud, NousAutres
Temps d’échange
avec les élus de la CCE
De Mars à Juin 2021
Nous structurons notre proposition autour de quatre temps de résidence au sein du château Baffort afin d’offrir
« une production culturelle territorialisée ».
Chaque semaine de résidence comporte plusieurs temps forts qui doivent permettre à différents publics d’aborder l’envers du décor, c’est-à-dire exposer les conditions matérielles de production d’une œuvre artistique, et d’enrichir l’écriture du spectacle.
La proposition intègre par exemple un dispositif d’échange avec un public scolaire composé de différentes classes de primaire (du CE1 au CM2).
Trois récits abordant le paysage du marais comme (mi)lieux
de vie tissés à différentes échelles de temps et d’espace.
Extrait de la note d’intention
« Création de trois contes paysagers des marais nord-blayais ».
REMISE DOSSIER AMI
AVRIL 2021
Les repas participent des dispositifs
Le contexte général de résidence favorise les échanges sur différents sujets autour du marais. Ce sont des moments importants de partage d’expériences et de dons (exemple : premières fraises d’une maraîchère dont l’exploitation borde un bras de la Livenne) (source : auteur, 2021/22)
Source : Grégory Epaud
La dernière résidence permet de réaliser trois représentations, en particulier avec le groupe de témoins à l’origine de la parole recueillie invité à une avant-première dédiée.
Le public est manifestement ému.
Un élu d’Étauliers vient à notre rencontre :
“ Dans La Vergne ils ont eu beaucoup de joie et beaucoup de labeur. On reconnaît tellement son visage… ”
Juillet 2021
Les premières représentations sont organisées autour de temps conviviaux dans le cadre de la résidence. En présence des témoins et de leurs proches, un éleveur du marais assure une partie du repas sur le mode du potluck. Ce repas procède d’une mise en abyme des contes puisque sont dégustés des aliments provenant du marais. Chacun, en s’exprimant sur ce monde qu’il partage comme nourritures (Pelluchon, 2015), bascule de l’acteur à l’habitant, du spectateur au coauteur, pour réaliser un commun artistique.(Morizot & Mengual, 2018)
Source : NousAutres, Grégory Epaud.
La première des Trois Portes du passage est offerte par les artistes. Le spectacle est un
« objet-frontière » qui s’inscrit dans des boucles récursives mobilisant des individus dans des configurations différenciées. L’ensemble des dispositifs de sa production et de sa diffusion devient un milieu de développement de compétences, des savoirs et savoir-faire dans une relation attentive avec l’environnement compris comme interaction entre humains et non-humains.
Source : NousAutres
Les représentations sont en situation en des lieux non dédiés au spectacle.
Elles se déroulent en extérieur, situé dans, aux abords ou avec un point de vue remarquable sur les marais du Nord-Blayais.
Source : Grégory Epaud
Diffuser
« Non mais c’est formidable ! Comment vous avez su tout cela ? »
Le spectacle est joué douze fois pendant la saison 2021/2022.
Le souhait est de se porter à la rencontre du public local, souvent non habitué à fréquenter les lieux de culture.
ou suscitent des curiosités :
De fait, le conte paysager est ici devenu un outil de traduction qui est mis à l’épreuve régulièrement pour en évaluer non pas sa vérité mais, plus pragmatiquement, sa véridicité. Dit autrement, la manière de pouvoir faire sens localement.
« Pour les communions on allait y pêcher un brochet pour chacun »
« Je ne connais pas encore. Va falloir que j’y aille ! »
« Il existe vraiment ce bois des abîmes ? »
provoquent des interrogations :
Des temps d’échanges prolongés à la suite du spectacle permettent d’accéder à de nouvelles connaissances des pratiquants :
Maintenir les dispositifs ouverts
« Le lien entre l’artistique et le paysage c’est quelque chose qui peut dépasser le seul territoire et être restituer à d’autres dans le cadre de nos boîtes à outil. Voilà ! Faut que cela puisse outiller ! »
Extrait Réunion visio IDDAC du 03 février 2021
Par exemple, l’agence culturelle du département de la Gironde (IDDAC) s’est proposée de financer une vidéo de diffusion de la démarche.
La CCE s’est proposée de financer une édition papier et sonore pour la diffusion des « Trois Portes du passage ».
Un projet de résidence territoriale d’artiste pour trois ans (2023-2026) est en cours pour créer un festival de contes paysagers localement.
Un article est diffusé dans la revue l’Estuarien n° 80, Avril 2022
Janvier 2021
Contacté par une étudiante
en CESP à Versailles
Son travail de mémoire de master venait interroger la question du sauvage.
Après une installation temporaire dans la Vergne combinée à un travail d’entretiens, elle produit des scenarios de paysage-fiction qui interrogent : « Et si le busard des roseaux, l’écrevisse de Louisiane ou l’Aulne glutineux gérait l’écluse du Passage ? »
Ils sont illustrés par trois tableaux comme support d’échanges sur les relations de cohabitation entre humains et non-humains.
Ce travail est éprouvé en comité restreint in situ lors du Festival de la patte d’oie de juillet 2022
Le dispositif général s’appuie sur une grande carte au centre qui représente les courbes de niveaux
Des visuels permettent de comprendre les évolutions et enjeux concernant l’écluse du Passage. On y trouve aussi des schémas systémiques éclairant sur l’éthologie des non-humains (busard, écrevisse ou aulne).
Ce travail exploratoire apparaît plus difficile d’accès. Une représentation-atelier des contes paysagers et des échanges sur cette approche est prévue pour l’inauguration de la maison de l’éclusier entre habitants, élus et le service environnement du département en charge des Espaces Naturels Sensibles (ENS). Pour finir, une carte paysagère va être réalisée avec Thomas C. un artiste local rencontré lors de la mise en place d’un jardin.